CRoW et MOi

Publié le par EmmaBovary

 

 

C’était un dimanche terne, sans lumière, sous le couvercle plombé du ciel. Un voile poisseux tombait sur la ville. Les rues s’agitaient mollement au rythme des passants du mois d’août, dans une ambiance digne d’un début de film catastrophe. Je n’avais rien à faire, personne à voir… Je songeai à me réfugier dans un bar ou à me rendre au parc pour piquer un roupillon à l’ombre des catalpas. Je pouvais encore visiter encore le zoo… J’ai toujours aimé l’ambiance bleutée de la maison des pingouins.

Mes pas finirent par me guider jusqu’à un cinéma, coincé entre une banque et un cabinet d’assurance. C’était le genre de salle où les fauteuils rouge électrique vous brisent le dos, où l’image tressaute en début de séance et où l’on s’attend à croiser la moue d’Eddy Mitchell dans le hall. Le genre d’endroit à se faire bouffer par du multiplexe… J’ai payé le billet sans regarder le programme. Je ne croisai personne dans les couloirs. La lourde porte, interface entre deux mondes, émit un bruit d’air comprimé. J’entrai dans le ventre tiède du cinéma.

Une lumière feutrée régnait dans la salle, rythmée par le ronronnement familier du projecteur et du système d’aération. Je trouvais agréable d’être là, seul, sans connaître ni le nom, ni le sujet du film. Pas de toux retenue, ni de chuchotis en bruit de fond. Pourtant, je n’étais pas certain que la séance ait lieu. On ne lance pas un film pour un spectateur solitaire.

La lumière déclina pourtant, laissant apparaître sur l’écran un générique vieillot, suivi d’images en noir et blanc. La musique, tragique au possible annonçait un vieux polar des années quarante. Le film allait passer malgré tout. Un film rien que pour moi. La situation était insolite.

 

Je ne sais combien de temps s’était écoulé lorsque je crus entendre quelqu’un entrer. Un bruit d’air comprimé, des pas, un frottement, un souffle… et plus rien. Je n’étais pas sûr. Les voix nasillardes du film s’échappaient tapageusement des haut-parleurs, accompagnés des sons habituels : craquements, éclats de musique, grésillements… J’avais dû rêver.

A l’écran, le détective Crow fouillait un appartement. Son visage apparut brusquement en gros plan. Je sursautai. Il avait entendu un bruit. Moi aussi. Comme un choc sourd, suivi d’une respiration. Dans mon dos, quelqu’un se déplaçait avec discrétion dans les rangs. J’étais sûr de moi cette fois. Je n’étais plus seul. Le détective Crow non plus. Un homme à face de truand se tenait devant lui, pistolet à la main.

La paranoïa n’avait jamais été mon truc. Pourtant, je commençai à baliser. Les ongles plantés dans l’accoudoir et l’oreille aux aguets, je tentais de saisir le moindre bruit. Papier froissé ? Respiration ? Grattement de gorge ? Pas évident avec Crow qui essayait de désarmer son adversaire. Lui, au moins, savait à qui il avait affaire. Alors que moi…

Quelque chose frôla mon épaule dans un souffle chaud tandis que la face de truand mettait Crow au tapis. Je pris dix secondes pour réfléchir, suant à grosses gouttes, les muscles tendus… Des picotements dans mon cou m’indiquaient que curiosité et trouille avaient été attisées. Malgré cela, pas question de me retourner pour tomber nez à nez avec l’intrus qui évoluait dans la salle ! Je n’avais pas le cran du détective Crow. Il ne me restait qu’une solution : la sortie de secours était proche. En cinq pas de danseuse, il était possible de fuir… Je bondis sur mes jambes, comme un diable émergeant d’une boîte.

L’interface se referma sans bruit. Je montai les marches quatre à quatre, poussai une porte métallique. L’air poisseux tomba sur moi comme une masse. Je me mis à courir, sans but, sans réfléchir, l’image de Crow collé à la rétine : le flic baignait dans une mare de sang. Qu’est-ce que c’était que ce film où les bons crevaient, en laissant les méchants s’enfuir ? Moi, je n’avais pas eu le courage de me retourner. Je continuais à courir, trempé de sueur froide. Ce ne fut qu’en arrivant au zoo que je réalisai où je me trouvais.

Je n’y peux rien si l’obscurité m’angoisse. Depuis, cette histoire, je n’entre plus seul dans un cinéma. Et cette idée me poursuit, me rattrape parfois : je ne connaîtrai jamais la clé du mystère. C’est ainsi... Peut-être n’y avait-il personne après tout ? Au fond de moi, je reste persuadé que j’ai sauvé ma peau.

 

Publié dans Mes mots

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L
Trop peur !
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D
Je me suis trouvée seule un après-midi dans une grande salle de cinéma. Je n'ai pas fui comme le héros de l'histoire mais j'ai stressé méchamment pendant tout le film, qui n'était pas un polar, persuadée de sentir une vague présence dans mon dos...
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L
Une histoire à vous décourager d'aller seul(e) au cinéma ! Je suis sûre qu'il y avait quelqu'un, il a bien fait de s'enfuir ...
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E
Oui, désolée pour la mise en page: overblog ne veut pas la modifier ! Je verrai demain, peut-être...
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M
Quel plaisir de relire ce texte. Je crois bien que j'avais voté pour lui d'ailleurs.<br /> Par contre la mise en page est assez désagréable pour un texte de cette longueur...
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