ChERCHeUR d'OR

Publié le par EmmaBovary

Robert a eu son heure de gloire dans les années 70. On parlait de lui dans tous les bistrots et un tas de filles rêvaient de finir dans ses bras. Des photos ont même circulé. Ma sœur en avait punaisé une au-dessus de son lit. Robert, c’était quelqu’un : beau gosse, regard d’acier. Mais pas souriant.
A seize ans, il s’est mis au boulot. Il rêvait de tailler la route. Mener aux champs les bêtes de la ferme familiale, ça ne l’emballait pas. Et ça ne rapportait pas grand chose. Il commençait à s’ennuyer quand Adam, le vieux fossoyeur, a cassé sa pipe. Robert avait besoin d’argent pour partir en Amérique. Les morts rapportaient plus que les vaches.
Au début, il creusait pour le village. Le gars était discret, taiseux et avait de l’énergie à revendre. Les bourgs voisins firent appel à lui. On croisait sa silhouette dans tous les cimetières. Mais pas de western pour Robert. Il ne recherchait pas d’or. Ses coups de pelles servaient à en gagner. Aucun filon dans les fosses. Juste de l’argent dans les poches.

Il ne partit pas la première année, ni la suivante… Il économisait. Ses projets de voyage à l’abri dans sa tête, le jeune fossoyeur devint un homme. L’année de ses vingt ans, un type fit une remarque qui bouleversa son existence. C’était vrai qu’avec son visage coupé à la serpe, ses sourcils froncés, son œil sombre, il ressemblait à Clint. Robert devint Bob parce que ça faisait acteur américain.
Il fêta ses vingt-trois ans alors que le premier western réalisé par Eastwood sortait. Une barbe ombrait ses joues. Il avait acheté un poncho à une bande de hippies. Un cigarillo au coin des lèvres, il cultivait la ressemblance. On disait même qu’il s’était procuré un flingue. A défaut de partir, il avait planté le décor ici, se créant un bout de Far-West.
Je me souviens d’un matin sur la place… Je partais à l’école et j’ai croisé Bob. Il portait son poncho et un chapeau de feutre noir. Arrivé à ma hauteur, il a levé la tête et planté ses yeux gris dans les miens… Je vous jure que j’ai entendu le son d’un harmonica.
Bob eut sa photo dans l’édition régionale. Sa renommée ne le rendait pas bavard pour autant. Les filles étaient à ses genoux. Des touristes s’arrêtaient pour le prendre en photo. Mais lui restait impassible. Son regard, de plus en plus lointain, était braqué vers l’Amérique.

Le temps a commencé à bouffer la laine du poncho et la mode du cow-boy a fini par passer. Le flic Eastwood vieillissait. Bob restait fidèle à son image. Sa silhouette de western continuait à hanter les cimetières, dos courbé à force de creuser la terre. Il a disparu l’année de ses cinquante ans. On a retrouvé un chapeau usé flottant dans le bouillon de la rivière. Le corps n’a jamais refait surface.
Il ne reviendra pas. Car moi, je l’ai vu partir. Il s’est présenté à la banque, vêtu d’un beau poncho et d’un chapeau flambant neuf. Sans avoir besoin de pointer un flingue sur moi, il a retiré une grosse somme. Bob ne payait pas de mine ces dernières années à errer dans les cimetières. Pourtant, à coups de pelle, il est parvenu à réunir un beau pactole. Tout seul. A la force des mains.
A défaut de trouver de l’or, il a fait de bons placements. De quoi vivre pépère jusqu’à sa mort. Il en profite quelque part sur une plage mexicaine. Ou californienne. Ou ailleurs.

Publié dans Mes mots

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L
ce n'est pas à proprement parler la "ruée" vers l'or ! On pourrait plutôt dire qu'il a pris son temps, Bob. Très joli texte !
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L
On se connaît !!!
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E
Léonie, on se connaît?
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L
Bob, c'est comme si il était là, devant nous, on y croit !
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